PARCE QUE JE CROQUE LA VIE A PLEINE DENTS
ET LES PEPINS AVEC.

Froncement de sourcils. Mais qu’est-ce qu’il me veut ce mec ? Je ne le connais pas, ne reconnait pas sa tête. J’hésite à lui en coller une maintenant ou après. A choisir, ce sera maintenant. Et hop, la gifle part. Je n’ai pas pût la retenir, désolé vieux, il ne fallait pas m’énerver. Sauf, qu’en y réfléchissant bien, il n’a pas l’air de vraiment apprécier. Il a la trace de ma main sur le visage et ses yeux sortent de leurs orbites, tandis qu’il m’adresse un regard bien méchant. Je ne vais pas m’enfuir en courant, ce mec ne me fait pas peur du tout. « Putain ! Qu’est-ce que t’as foutu là ? Venez les gars, on va lui défoncer la gueule à ce bâtard ! » Mais ses potes ne m’inspirent pas confiance le moins du monde. Trop tard pour m’enfuir, au moins, je me prendrais des coups la tête haute. Pas d’ego surdimensionné par là, juste dire de sauver l’honneur. Mais bon, je n’ai pas trop d’espoir. A plus de vingt contre un. Ouch, premier coup, ça fait mal.

Je me regarde dans la glace. J’ai une longue nuit derrière moi. Impossible de m’endormir rapidement, chaque geste me coutant de profonds gémissements de douleur. Cela faisait longtemps que je n’avais pas été aussi amoché, la dernière fois remontant au collège. Sauf que je ne me rappelle pas avoir eu aussi mal. C’est que l’on doit être plus résistant lorsque l’on est plus jeune. Mon portable se met à sonner, je le sors et regarde. C’est pour me prévenir d’un rendez-vous. Aujourd’hui, je dois rejoindre Rebekah au Burger King. Je fais une moue insatisfaite. Que va-t-elle dire quand elle va me voir dans cet état là ? Je range mon cellulaire et me regarde une nouvelle fois dans la glace. J’ai des croutes partout sur le visage, à certains endroits, il y a du pue qui coule des plaies. Pas cool du tout. Je désinfecte le tout avant d’enfiler une paire de lunettes de soleil, espérant que les blessures se verront moins. Je me dépêche de sortir de l’hôtel privé, qui me sert d’habitation après m’être saisis du petit paquet rouge posé que ma table de nuit, de peur de tomber nez à nez avec mon oncle, qui a pris un jour de congé aujourd’hui. Je décide de faire la route à pieds jusqu’au Burger King. L’air froid contre mon visage me fait d’ailleurs le plus grand bien et j’arrive même à afficher un grand sourire tandis que je marche dans la rue. Chose qui m’aurait été impossible hier soir, tellement mon visage était endolori. Mais là, tout va un peu mieux, alors je m’autorise à faire des choses supplémentaires. Avec un peu de chance, toutes les blessures sur mon visage auront disparu d’ici mardi prochain, pour mon meeting. Mais je n’y crois pas trop. Alors, je lâche un léger gémissement de dégout contre le vent, en pensant à tout le maquillage que l’on va être obligé de me mettre pour cacher tout ça. Je déteste le maquillage, je ne sais pas comment les filles font pour supporter ce truc.

En passant près du Boston Common – le parc dans lequel Rebekah a l’habitude de travailler à la nuit tombée – je regarde après ma meilleure amie. Malheureusement, elle n’est pas par ici. Dommage, je n’aurais pas dit non au fait de faire la route avec elle. Je m’autorise tout de même à passer par le parc pour rejoindre notre lieu de rendez-vous. Tant qu’à faire un détour, autant le faire jusqu’au bout. En plus, je suis en avance, alors autant ne pas me priver. Au moment de me mettre à faire le tour du parc dans l’autre sens, je passe devant un restaurant. L’Eagles Deli. Un papier accroché à la fenêtre attire mon attention. « AUJOURD’HUI, ANIMATION THEATRALE. » Un sourire nait sur mon visage. Cela pourrait être sympa. Laissons tomber le Burger King et sa bouffe dégueulasse ! J’ai envie de manger là. Je m’arrête donc devant la porte et brandit mon cellulaire pour appeler Rebekah, tandis qu’un sourire heureux est toujours étendu sur mon visage.

« C'est 60dollars. ». Le type affiche une moue méfiante. Alors quoi ? Il croit que je vais lui faire l'aumône et lui chatouiller les couilles pour le plaisir ? Je l'observe sans rien dire. Rien à dire, ce mec a vraiment une tête horrible. Dans le genre remake de Picasso, on pouvait trouver difficilement mieux. Si ce n'était son costume Lacoste flambant neuf et ses godasses de riche, je l'aurai facilement pris pour un drogué. Pour un de ces mecs qu'on devait ramasser en bas de l'immeuble, certain matins. Il finit par me tendre une liasse. Une belle alliance trône sur son doigt. Un joli connard qui s'apprêtait à cocufier sa femme. Et dire que j'allai l'aider à cette tâche. J'attrapai le fric, le faisant glisser entre mes doigts, froissant les billets, avant de les glisser dans ma poche. « La pute d'à côté, c'était seulement 10. ». Pute. Je déteste ce mot. Je me mordille le bout de la langue. Qu'est-ce que je m'en fou, de la péripatéticienne d'à côté. C'est pas ma collègue, c'est qu'une meuf désespérée comme beaucoup d'autres. En l’occurrence, c'est mon entreprise, c'est moi qui fixe les prix. Ironie.

J'hésite un instant. J'ai froid. Quelques piétons passent dans la rue. J'entends leurs pas pressés. Qui sont-ils ? Où vont-ils ? C'est une question. Prise d'une soudaine inspiration, je décide d'aller vérifier par moi-même. Et me met à courir sur mes talons usés. Une vieille paire ressortie d'un placard défoncé datant de l'âge glaciaire. Les autres ont fini leurs vies dans la tronche de Newsham. Triste mort. C'est dommage, ces chaussures m'avaient coûté cher. J'entends le gros qui s'active et s’essouffle derrière moi. Il perd de la distance. Ultime ruelle. Je suis sauvée. Je ne peux pas m'empêcher de tripoter les billets qui traînent dans ma poche. De l'argent gagné à ne rien faire. Je me sentirai presque bourge, tiens. J'esquisse un maigre sourire. Le Burger King n'est plus qu'à quelques pas. Je m'approche du bâtiment, alors que mon téléphone se met à vibrer. Je décroche. C'est Heph'. Et quelque chose me dis qu'il n'est pas dans le fast food bien dégueulasse qui trône en face de moi.

« Allo ? »

Je viens de changer d’avis. Rebekah et moi, nous devons laisser tomber le Burger King. Ce restaurant, l’Eagles Deli, semble tout de même proposer de bien meilleurs repas, mais aussi, une ambiance plus communicative que celle d’un fast-food. Enfin bref, il faut que je prévienne la jeune femme de mon changement d’avis assez soudain. Je m’empare donc de mon cellulaire, avant de composer son numéro que je connais par cœur. Puis, je patiente calmement devant le restaurant, contemplant le papier sur lequel est indiquée l’animation du jour, avec un grand sourire. Le téléphone collé à l’oreille, j’attends qu’il arrête enfin de sonner, pour entendre le son de la voix de ma meilleure amie. Elle ne se fait d’ailleurs pas attendre, puisque sa voix s’élève au bout d’à peine deux sonneries. « Allô ? » Je ne peux m’empêcher de remarquer qu’elle semble essouffler, comme-ci elle venait de se mettre à courir. J’espère au moins qu’elle n’a pas de gros problèmes. Du genre d’un con lui ayant couru après pour essayer de l’agresser, ou un truc du genre. Ou même, qu’elle n’a pas couru jusqu’au Burger King à cause de moi. Je finis enfin par parler, jouant par la même occasion avec la branche droite de mes lunettes de soleil. « Hey. C’est Heph. Tu vas bien ? T’as pas l’air dans ton assiette… » Je laisse planer un léger blanc durant lequel je réfléchis aux circonstances de son essoufflement – de son épuisement même, à ce niveau là -, avant de me remettre à parler. « Laisse tombé le Burger King, rejoint moi à l’Eagles Deli, il va se passer quelque chose qui pourrait être bien sympa. » Je ne raccroche pas tout de suite, attendant qu’elle ajoute quelque chose. Peu importe ce qu’elle rajoute. Ce n’est pas poli de raccrocher au nez des gens, encore moins quand c’est sa meilleure amie à l’autre bout du fil. Et puis, elle n’est qu’à dix minutes à pieds d’ici. Au pire, j’irais la chercher. Oui je lui enverrais un taxi, si elle préfère.